Yves Pellequer vient de nous quitter. Figure emblématique du mont Lozère, il avait passé plus de quarante ans à observer avec passion et engagement l'évolution du climat : mesures de précipitations, températures de l’air, insolation, vitesse du vent...
Nous perdons un aventurier solitaire et solaire, devenu également maître de la coutellerie reconnu par ses pairs à travers tout le pays.
Pour célébrer ce personnage hors du commun avec lequel le Parc a travaillé pendant près de 40 ans, nous vous proposons de retrouver l'article que lui avait consacré
Parc national des Cévennes : rencontre avec Yves Pellequer, lames d’un solitaire
Article écrit par Mathilde Leleu - Midi Libre - 27/07/2020
Le forgeron coutelier reconnu vit une aventure unique sur le mont Lozère. Découvrez son portrait à l'occasion des 50 ans du Parc national des Cévennes.
Comme beaucoup d’autres, Yves Pellequer pensait n’être que de passage. L’escale dans la maison de ses grands-parents à La Vialasse sur le mont Lozère ne devait être qu’un repli, le temps pour le jeune homme de se refaire une santé avant de repartir pour de nouvelles aventures. Mais 40 ans plus tard, il vit toujours au hameau, plus enraciné que jamais dans cette nature aux airs de bout du monde.
Seul habitant à l’année, il a apprivoisé la rudesse de son existence. "J’ai compris que l’aventure pouvait aussi être ici, à vivre complètement seul dans un endroit où la neige et les orages peuvent t’empêcher de sortir pendant plusieurs jours. C’est dans ces conditions extrêmes que je me sens bien", confie ce grand lecteur de Kessel et d’Henri de Monfreid. Lui qui, à 30 ans, en avait déjà passé dix comme marin sur des bateaux de croisière ou des pétroliers en partance pour l’Arctique, lui qui s’était fait chercheur d’or dans le nord de la Colombie-Britannique, lui qui était si avide de vivre a donc pris goût à la sédentarité. Les Cévennes ont calmé ses appétits.
À 1 300 m d'altitude
Ses cheveux balayés par le vent, l’homme aux airs de corsaire repenti nous emmène à 300 mètres de chez lui. Chaque jour depuis 35 ans, il fait invariablement le même trajet. Au bout du sentier tracé à force de piétinement, une improbable station météo l’attend, érigée sur une crête à 1 300 m d’altitude. L’endroit est hautement stratégique. "On est exactement sur la ligne du partage des eaux entre la Méditerranée et l’Atlantique. Les précipitations s’écoulent d’un côté ou de l’autre."
Le long de cette ligne invisible naissent les épisodes cévenols, fruits de la rencontre entre l’air humide et chaud de la Méditerranée et celui, très froid, des hauteurs cévenoles. C’est là que chaque soir à la même heure, Yves Pellequer relève avec méthode les températures du jour, la force du vent et les temps d’ensoleillement qu’il note dans un minuscule carnet avant de les transmettre à un ingénieur du CNRS.
Les êtres humains m’ennuient. Moi ce qui me fascine, ce sont les éléments, les forces de la nature.Yves Pellequer (forgeron coutelier)
Grâce à lui, La Vialasse est sans doute le plus vieux suivi climatique en milieu naturel en France. Ses données sont de précieux indicateurs, notamment sur le réchauffement climatique. Une formule que ne goûte pas Yves Pellequer. "C’est une analyse un peu trop simpliste. Moi ce que je note, ce sont de profonds dérèglements, des événements météo plus violents, plus soudains. Des écarts de température qui font qu’au printemps tu te les gèles un jour et le lendemain tu crèves de chaud." Ses records à lui oscillent entre – 27 °C en janvier 1986 et + 33 °C en juillet 2003.
Du jeune autodidacte au maître de la coutellerie
Mais loin des chiffres, l’habitant Yves Pellequer remarque surtout un vent qui souffle plus, et plus souvent, et qui chasse les insectes, des vers luisants qui ne brillent plus, des rapaces qui se font plus rares dans le ciel. Des départs qui le rendent amer, lui qui s’accommode si bien de la solitude et de l’isolement vis-à-vis des Hommes. Il confie : "Les êtres humains m’ennuient. Ils se ressemblent tous. Moi ce qui me fascine, ce sont les éléments, les forces de la nature."
Quand Yves Pellequer ne prend pas les mesures du vent et du soleil, il s’isole dans l’obscurité de sa forge pour tailler des lames de couteau.
La petite silhouette s’anime alors et par des gestes précis, fait rougir les braises, tambourine une lame, apprivoise l’acier. En 30 ans de pratique, le sexagénaire est passé du jeune autodidacte au statut de maître dans l’art de la coutellerie, reconnu par ses pairs à travers tout le pays.
Certains viennent de loin pour le voir travailler, lui acheter une lame ou l’écouter parler à l’infini de ce savoir-faire "vieux de plus de 3 000 ans". Il les reçoit avec une étonnante courtoisie, mais chasse ses invités chaque soir à la même heure. Quand sonne l’heure des relevés, coutellerie ou pas, il n’est plus temps de tarder.
Un suivi climatique vieux de 40 ans
En 1980 a été initié par le CNRS un plan d'étude hydrologique et météorologique sur le mont Lozère avec l'installation de la station météo de La Vialasse, en cœur du Parc national des Cévennes. Supposée durer deux ans, l'opération a été prolongée en partenariat avec le Parc et fêtera ses 40 ans d'existence le 1er juillet 2020, devenant un des plus anciens suivis climatiques en milieu naturel en France. Depuis 1985, Yves Pellequer se rend quotidiennement à la station pour effectuer les relevés portant sur l’ensoleillement, la température, la pluie, le vent. Les résultats sont ensuite transmis à un ingénieur du CNRS basé à Saint-Christol-lès-Alès (Gard). Ils révèlent certaines tendances comme la hausse de l’ensoleillement et de la température (l’isotherme moyen a augmenté de + 1, 4 °celsius en 38 ans).
Biographie Yves Pellequer
Naissance le 1er juin 1952 à Nîmes.
23 novembre 1983 : Yves Pellequer rentre du Canada et s'installe au hameau de La Vialasse.
Janvier 85 : Vend ses premiers couteaux.
Printemps 1985 : Commence à faire les relevés météos.
2002 : Arrête son activité d'élevage de lapins pour se consacrer entièrement à la coutellerie.
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