Secrets de mousses
Prospection dans le ravin des Bosges
- Photoreportage -
Rendez-vous est pris ce 30 mai matin au col de Prentigarde, près de St Germain de Calberte. La consigne : équipement léger et étanche. On risque de se mouiller.
Mais la mission du jour vaut le détour : faire l'inventaire des mousses et des fougères présentes dans un ravin difficile d'accès et qui semble très prometteur : le ravin des Bosges.
L'un des objectifs est de faire avancer la connaissance des espèces présentes dans le cadre de l'Atlas de la Biodiversité Communale (ABC) de la commune de St Germain de Calberte.
Ce sera aussi l’occasion de mieux comprendre le rôle de « refuge climatique » de ces ravins cévenols pour un riche cortège de mousses d’origine océanique.
La dernière fois que ce canyon avait été exploré pour une prospection botanique, en 2008, un collègue avait fait une belle glissade finissant à l'eau bien fraîche, ce qui avait compromis le reste de l'exploration.
La prudence sera donc de mise.
Avec le printemps pluvieux, les mousses sont particulièrement exubérantes. Le jour est donc particulièrement propice aux découvertes et elles vont être nombreuses... !
L'équipe est composée d'Emeric Sulmont, garde-moniteur du Parc et de Julie-Anne Burkhart du conservatoire botanique national méditerranéen.
Dès les premiers mètres, de nombreuses fougères attirent l'attention des deux spécialistes.
"On peut estimer l’intérêt d’un ruisseau d’un point de vue des mousses en fonction de sa richesse en fougères. Lorsqu’on approche ou dépasse la « note » de 20 espèces, cela devient très intéressant" confie Emeric.
Les deux groupes fougères et mousses sont en effet très dépendants du milieu aquatique, leur diversité dans les milieux est très reliée.
"Autour de cette rivière on a recensé pour l'instant 17 fougères différentes, c'est déjà très bien ! Sur la commune de St Germain de Calberte, on en connaît 34 mais il est bien entendu impossible de les trouver toutes sur la même rivière.
On en dénombre au total 60 espèces dans les Cévennes et 115 en France".
La Fougère « mâle » était utilisée comme litière pour les garçons et la Fougère « femelle » (qui est une autre espèce) pour les filles.
Les anciens connaissaient leurs propriétés notamment leur faculté à faciliter le sommeil. Elles ont également un rôle d'anti-parasites et repoussent notamment les acariens.
De plus, les spores des fougères sont vermifuges. C’est probablement pour cette raison qu’elles sont ingérées par de nombreux animaux notamment les cervidés en début de printemps.
Il faut s'imaginer qu'il y a 200 ou 300 ans le décor était très différent.
Ici, on cultivait principalement la châtaigne, quelques céréales et des légumineuses.
D'ingénieux systèmes de béals (canaux d’irrigation) et de gourgues (réservoirs d’eau bâtis) permettaient d'optimiser la ressource en eau.
Depuis plusieurs siècles, les parois taillées dans la roche des béals cicatrisent et les mousses et les lichens qui les recouvrent sont parfois très rares. Cela fait des béals un cheminement particulièrement intéressant à prospecter pour le bryologue* ou le lichénologue*…
Même si les fougères sont scrutées de près, ce qui intéresse particulièrement nos deux experts aujourd'hui ce sont les mousses.
Contrairement aux plantes à fleurs, les mousses ne possèdent pas de véritables racines. Elles sont ancrées dans le support au moyen de filaments vivants, les rhizoïdes.
Elles profitent donc de la pluie, du ruissellement et des brouillards pour absorber par toute la surface de la plante les éléments minéraux.
Et, si les mousses sont si petites, c’est parce que la force de capillarité qu’elles utilisent pour « monter » l’eau à leur extrémité, ne parvient pas à compenser la gravité terrestre au delà de 8 à 10 cm de haut (comme dans un mouchoir en papier dont on trempe une extrémité dans l’eau).
Les mousses poussent presque partout : sauf sur la glace, les très hautes altitudes et les déserts (où elles sont très rares) depuis 470 millions d'années*, elles ont réussi à coloniser la terre entière.
* les premières traces fossiles d’une spore de mousse ont été découverte en Argentine et en Oman dans des sédiments datant de l’Ordovicien.
Le groupe des mousses au sens large regroupe 3 catégories :
1 : Les mousses au sens strict
Elles se distinguent par leurs tiges pourvues de feuilles disposées de manière régulière tout autour de la tige (disposition en hélice).
Deux sous-groupes peuvent facilement se reconnaître sur le terrain : celles au format fougères (ou ronces miniatures) dites pleurocarpes et celles au format Agave ou Aloe miniature que l’on appelle des acrocarpes.
Les premières (pleurocarpes) sont plus exigeantes sur les conditions d’humidité alors que les secondes (acrocarpes) dominent lorsque le climat est plus sec comme dans la garrigue.
2. Les Hépatiques
La disposition de leurs feuilles (ou des écailles) obéi à une symétrie bilatérale : c’est à dire que la partie gauche est symétrique de la partie droite.
Cependant le dessous de la plante est le plus souvent très différent du dessus, avec notamment la présence de petites feuilles (les amphigastres) qui sont absentes sur la partie supérieure.
On trouve là aussi deux sous-groupes d’hépatiques faciles à distinguer sur le terrain : les hépatiques à feuilles et les hépatiques à thalle.
Le thalle est une lame chlorophyllienne plus ou moins ramifiée évoquant un lichen mais avec le plus souvent des écailles en partie inférieure.
Les hépatiques sont plus exigeantes sur les conditions d’humidité du milieu que les mousses au sens strict.
3. Les anthocérotes
Ces dernières ressemblent aux hépatiques à feuilles mais leur moyen de reproduction (sporophyte) est très simplifié, il ressemble à des brins d’herbe qui émergeraient d’une algue.
Les lames vertes ou thalles accueillent des colonies d'algues unicellulaires (Nostoc).
Elles sont un peu « le lichen des mousses » et ont besoin d'environnements bien préservés.
Ce sont des espèces pionnières de talus humides, qui profitent des petites perturbations de l'environnement (effondrement d'un mur ou d'une paroi par exemple) pour s'installer.
Au delà des méthodes "classiques" et principalement visuelles pour reconnaître les mousses, l'odorat peut être très utile.
En effet, la plupart des hépatiques contiennent des organites à l’intérieur de leur cellules qui concentrent des huiles essentielles : les oléocorps.
La fonction de ces oléocorps n’a pas été clarifiée par les scientifiques mais ils participent probablement à repousser les herbivores (comme la menthe, la lavande ou le thym que le bétail ne mange presque jamais).
Grâce à eux, le bryologue peut identifier certaines hépatiques juste à leur odeur, tantôt de bonbon à la sève de pin pour Targionia hypophylla, ou de carotte pour Frullania fragilifolia ou encore de girolle pour Lophocolea bidentata.
Nous continuons notre exploration et découvrons en chemin une pierre de schiste.
Reconnaissez-vous les points dont elle est couverte ?
Alors que le chemin se fait plus difficile...
...nous observons le raisin d'Amérique.
Une espèce exotique invasive mais dont l'impact reste assez limité car elle n'est pas très compétitive par rapport à d'autres espèces locales comme les ronces par exemple.
Nous croisons ensuite le fameux Lichen pulmonaire (lobaria pulmonaria), un lichen autrefois utilisé pour soigner les poumons.
Une espèce plutôt montagnarde mais qui peut subsister dans ce genre d'atmosphère méditerranéenne « confinée ».
Nous poursuivons l'exploration dans cette atmosphère très particulière qui prend parfois des airs d'Amazonie...
Et, dans le creux d'une cavité...
...nous atteignons l'un des objectifs de la journée !
Le Trichomanes splendide ! Une fougère particulièrement intéressante car elle peut rester à son stade juvénile (le gamétophyte) pendant des dizaines d'années si elle est maintenue dans une quasi-obscurité, une humidité permanente et sans espèce concurrente.
C’est une espèce qui a été bien étudiée et recherchée en Europe car elle est inscrite à la Directive Habitat et est protégée en France.
La partie juvénile a été découverte dans presque toutes les régions siliceuses et montagneuses de l’ouest de l’Europe (elle est assez commune dans les grés vosgiens) et même dans des pays parfois éloignés de l’océan, Allemagne et Tchéquie par exemple.
En revanche, si les conditions deviennent plus favorables notamment plus chaudes et humides, elle se développe dans sa forme adulte en fougère et peut dépasser 30 cm de longueur !
Son stade juvénile n'est pas un obstacle à sa dissémination. En effet, son filament peut grandir, se ramifier et s'étaler sur une grande surface. En revanche, elle ne supporte par le ruissellement.
Les filaments du gamétophyte sont probablement disséminés de proche en proche par des oiseaux comme le Cincle plongeur ou le Troglodyte qui aiment beaucoup nicher dans ces ravins inaccessibles.
Protégé à l'échelle nationale, le Trichomanes splendide (Vandenboschia speciosa) est présent en France à l'état de fougère développée (sporophyte) seulement dans des ravins du Pays basque, en Bretagne dans quelques très rares puits, ainsi que dans un seul ravin du sud du Cantal qui était par ailleurs connu pour sa richesse en mousses océaniques.
La trouver en Cévennes au stade de fougère adulte serait donc un évènement !
Le chemin se fait plus complexe et il devient inévitable de se mouiller entièrement si on veut continuer à explorer ce qui devient un ravin escarpé et étroit.
Et l'effort est récompensé puisque nous trouvons une hépatique à feuille typique des ambiances océaniques : Harpalejeunea molleri !
Seules 3 stations étaient jusqu'à présent recensées dans le Parc national des Cévennes. C'est une espèce qui affectionne les parois des ravins les plus confinés.
Le mystère demeure quant à l'origine de l'Harpalejeunea molleri.
D’après les travaux de Alain Vandenpoorten (Université de Liège) il semble que sa présence soit liée à la dissémination de spores suite à de grandes tempêtes venues de l’océan.
Est-il là depuis 100 ou 200 ans ou au contraire depuis des millénaires ?
Des méthodes d’analyse génétique permettraient de comparer avec des populations sources des Açores ou des Canaries, cela pourrait préciser la date de leur arrivée en Cévennes et peut-être ainsi la relier à un épisode climatique particulier du passé.
Au total, ce sont donc 108 espèces différentes de mousses qui ont été recensées sur la journée sur ce ravin.
Parmi ces 108 espèces, il y avait 35 % d'hépatiques contre 65% de mousses dites "vraies" ou "strictes".
Le rapport de ces deux grands groupes de bryophytes renseigne souvent sur le climat local ou plus général du site. A l'échelle de la France, pays au climat tempéré on est autour de 24 % d'Hépatiques.
Sous les tropiques, dans des pays très humides, le ratio s'inverse. En Colombie par exemple il y a autour de 80 % d'hépatiques.
L'expédition du jour a donc permis d'ajouter 16 espèces nouvelles pour l’ABC de St Germain de Calberte qui était déjà relativement bien connue, mais chaque ravin réserve des surprises et on est probablement encore un peu loin du compte.
Retrouvez la liste des espèces découvertes lors de cette expédition ainsi que l'ensemble des espèces recensées à St Germain de Calberte : Liste des mousses du ravin des Bosges, St Germain de Calberte
Photographies : Adrien Majourel - Parc national des Cévennes