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Quand la cloche sonnait dans la tourmente

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La croyance locale va même jusqu'à prêter des vertus aux clochers de tourmente pour conjurer le mauvais sort, comme celle de repousser les orages  © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

 

Ils seraient typiquement lozériens et sont principalement répandus dans les hameaux situés sur le mont Lozère : les clochers de tourmente. Sur les hauts plateaux, ces repères sonores guidaient les pas des paysans, voyageurs ou colporteurs, perdus dans la neige soulevée par les bourrasques de vent ou l’épais brouillard. 

 

Ces ouvrages simples de maçonnerie, majoritairement en granite, supportant une cloche et parfois surmontés d’une croix, ont été construits par les habitants au début du XIXème siècle. Certains ont été édifiés au-dessus du four à pain communal, preuve de l’importance qu’on leur attribuait.

A l’époque, les hameaux étaient peuplés et les hivers particulièrement rudes sur les hauts plateaux. Lorsque sévissait subitement la tourmente, de fortes chutes de neige accompagnées de violentes bourrasques de vent mais aussi par un épais brouillard, la cloche était actionnée, de jour nuit comme de nuit, environ tous les quarts d’heure. Tel un phare dans la nuit, le tintement de cette cloche permettait à l’égaré de retrouver son chemin. Chaque cloche avait, dit-on, un son différent permettant de différencier les hameaux !

La fonction des clochers lors des intempéries est restée gravée dans les mémoires. Pourtant, au delà de ces fonctions liées au mauvais temps, les clochers de tourmente rythment également la vie des hameaux tout au long de l'année. Ils remplacent souvent l'église et sont utilisés pour sonner l'angélus ou bien pour marquer des événements comme les naissances et les décès.

 

Les clochers de tourmente du mont Lozère

 

Sur les flancs du mont Lozère, on dénombre 5 clochers de tourmente situés sur les communes de Saint- Julien du Tournel (Auriac, Oultet et Les Sagnes), Saint-Étienne du Valdonnez (La Fage) et Mas d’Orcières (Serviès), tous sont classés monuments historiques depuis 1992.

 

Auriac

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Auriac est situé sur la commune de Saint-Julien-du-Tournel © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

Situé au milieu du village, c'est un simple campanile en fer forgé soutenant une cloche sur un mouton, posé sur un piédestal en granite local. Sa facture est beaucoup moins ordonnée et soignée que celle des clochers de La Fage ou des Sagnes. C'est le plus modeste des clochers de tourmente du mont Lozère.

 

Oultet

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Oultet est également situé sur la commune de Saint-Julien-du-Tournel © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

Le clocher se dresse sur l’ancien four à pain du village. Les clochers sont d’habitude plus isolés, mais celui d’Oultet est remarquable car il forme un ensemble harmonieux avec le four à pain communal, en schiste et granite. La cloche porte une date "1872" et le nom du fondeur : Montel de Mende.

 

Les Sagnes

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Les Sagnes est également situé sur la commune de Saint-Julien-du-Tournel © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

C’est un beau clocher en granite qui se dresse au cœur de ce hameau traditionnel. La cloche due à la fonderie Paccano (Annecy, 1928) a un nom : Maria Louisa et porte une inscription latine "a fulgure et tempestate liberanos domine" ce qui signifie  "de la foudre et de la tempête, seigneur libère nous.

 

Serviès

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Serviès est situé sur la commune de Mas-d'Orcières © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

Il se dresse face au lavoir et se présente comme un clocher-mur. Il est en granite de taille impeccable. Sa cloche date de 1778, c'est l'une des plus anciennes pour ce type de monument. On note que ce clocher offre une loge-abri pour le sonneur, ce qui n'était pas négligeable lorsqu'on sonnait plusieurs jours pour rapatrier les voyageurs égarés. L'inscription latine de la cloche "ora pro nobis sanch private elecnio sinis et lutis. Fratres ludovici erimitae valoton" se traduit ainsi : " Prie pour nous, saint Privat, par les aumônes et par les soins de frère Louis Valentin, ermite.

 

La Fage

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La Fage est situé sur la commune de Saint-Etienne-du-Valdonnez © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

Le hameau de La Fage est situé sur le versant Sud du mont Lozère. Ce hameau possède un ensemble architectural remarquable avec son beau clocher surmonté d’un arc doubleau, son four à pain et la croix avec son bénitier. Ce clocher isolé a été construit en 1835 à la place d'une église paroissiale demandée par les habitants de la Fage. Selon une source datée du 23 février 1835, une trentaine d'habitants du village s'engagent "à abandonner l'argent des terrains communaux aux dits Augustin Bouchite et Laurent Méjan à condition qu'ils se chargent tous deux d'acheter une cloche de quatre quintaux pour le village". Des écrits disent que cette cloche sonnait clair et qu'on l'entendait jusqu'au Roc des chiens fous, lieu-dit situé près de l'étang de Barrandon. La cloche fut fêlée au début du 20e siècle par des enfants qui l'ont sonnée en hiver alors qu'elle était gelée. Elle a été restaurée par un atelier en Corrèze et réinstallée en mai 1995.

 

 

Ailleurs sur le territoire

La présence de clochers de tourmente ne se cantonne pas uniquement sur le plus haut sommet de Lozère, même s’ils sont très rares ailleurs. Quelques hameaux situés sur d’autres grands plateaux auraient également développé ce système de guidage sonore. C’est le cas à Paros sur le rebord du causse de Sauveterre

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Clocher de tourmente de Paros © geocatching

 

De son côté, André Chamson décrit une « campanette » mise en place sur l’Aigoual par les moines de l’abbaye de Bonheur  (Sans Peur et les brigands aux visages noirs, 1977). 

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"Pour être assurés qu’aucun voyageur ne pourrait échapper à leur surveillance, ces moines avaient même construit, presque sur l’éperon sommital de la Luzette, à plusieurs lieues de leur maison mère, une petite cabane de pierres sèches, aux murs épais, où ils avaient établi une cloche et que, pour cette raison, on avait appelé la Campanette. Les jours de gros temps, ils allaient s’installer dans ce refuge et faisaient sonner la campane, de loin en loin, pour remettre dans le bon chemin les voyageurs égarés…"

 

Sur la Can de l’Hospitalet, l’auberge, qui était à l’époque un haut lieu de passage et d’accueil pour les voyageurs, dispose également d’un clocher de tourmente. Dans leur ouvrage « La Corniche des Cévennes », Jean-Paul Chabrol et Daniel Travier mentionnent que « la tradition orale racontait qu’on chargeait un enfant d’actionner toute la journée l’instrument ». Et de préciser aussi que de nombreux voyageurs y avaient laissé la vie comme en témoignent les registres des curés de Vébron. 

Selon les auteurs, une autre solution plus fiable que la cloche s’est imposée : « les montjoies ». « Les autorités locales plaidaient régulièrement pour la multiplication de ces hautes bornes en pierre ou de bois afin d’empêcher les voyageurs de s’égarer à droite ou à gauche et de se mettre hors du chemin ». Il n’en subsistent aujourd’hui que quelques uns.

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Montjoie sur le mont Lozère, Finiels © Adrien Majourel - Parc national des Cévennes

 

 

Des victimes de la tourmente

 

La tourmente n’était pas une légende comme en témoigne des stèles érigées en mémoire de victimes.

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© Ancalagon

Le monument situé près de La Veissière sur la commune des Bondons commémore la fin tragique de deux soeurs : Marthe et Pierrette Dupeyron.

Marthe, âgée de 20 ans était institutrice à la Vaissière. Venue passer les fêtes de fin d’année en famille à Rocles, le 2 janvier 1941, veille de rentrée scolaire, elle décide de reprendre le chemin de l’école malgré les chutes de neige et le froid glacial. Marthe est accompagnée de sa sœur Pierrette. Refusant de passer la nuit dans un gîte aux Badieux, les deux jeunes femmes effectueront les deux derniers kilomètres les séparant de l’école en pleine tourmente.

Elles seront retrouvées trois jours après leur départ, les corps recroquevillés, se tenant par la main et recouverts de glace, au pied d’un arbre. « A la mémoire, de ces victimes du devoir, qui périrent la nuit dans la tourmente sur le plateau du Lozère pour avoir voulu assurer à tout prix la rentrée de janvier 1941 », peut-on lire sur la stèle. 


Une croix dressée dans le secteur de l’étang de Barrandon rappelle quand à elle l’histoire, entre légende et réalité, de Maître Vidal. Celle-ci raconte que ce berger languedocien, propriétaire d’un grand troupeau de moutons, serait tombé amoureux d’une jeune fille des Sagnes. Lui faisant longuement la cour, le berger en aurait oublié le temps. N’étant toujours pas redescendu des hautes terres à l’automne, le berger aurait été surpris par la tourmente et périt. Les chiens qui l’accompagnaient se réfugièrent dans l’un des chaos granitiques pour se protéger des intempéries mais la faim les rendit fous. Non loin de la croix de Maître Vidal, un rocher porte le nom de « Roc des Chiens fous »

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Coucher de soleil sur le Roc des chiens fous © Elsa Guerin - Lozère Tourisme

 

 

Une randonnée pour découvrir les clochers du mont Lozère

Une boucle au départ de Saint-Julien du Tournel vous permet de découvrir 4 clochers de tourmente au cours d’une balade de 23 km à travers les grandes tourbières du mont Lozère, les prairies du plateau des Espradels et les « mille ruisseaux »  aux berges étroites. Plus d’informations sur notre site Destination Cévennes

 

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Toubière des Sagnes © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

 

Sources : 

CAUE de Lozère, Dossiers techniques Patrimoine, Les clochers de tourmente
Office de tourisme de Bagnols les Bains, Sur la trace des clochers de tourmente 

Entente interdépartementale Causses et Cévennes