Les premières rencontres du tourisme durable se sont déroulées les 28 et 29 février dernier à Alès. Organisées par Cévennes Tourisme, le Parc national, Alès Agglo et Alès Myriapolis et associant conférences et ateliers, elles avaient pour thème : (Re)penser le tourisme pour une destination d’avenir.
Cet évènement a rassemblé les professionnels du secteur afin d’échanger collectivement autour d’une vision commune pour une évolution responsable de la destination Cévennes.
A cette occasion, Rémy Knafou, géographe, spécialiste du tourisme et professeur émérite de l’université Paris 1 - Panthéon Sorbonne a livré son analyse du tourisme passé, présent et futur en Cévennes.
Entretien.
Comment s’est effectuée la gestation de ce territoire éco-touristique ?
Tout d’abord, il convient déjà de définir ce qu’est l’éco-tourisme. C’est un tourisme centré sur la découverte de la nature dans le respect de l’environnement et de la culture locale. Cette notion est plus facile à définir que le tourisme durable. Cette expression datant de 1995 a connu un succès mondial et a servi d'habillage à beaucoup de politiques qui n’étaient en rien durables. De nos jours, c'est une formule de plus en plus en décalage avec les impératifs du moment puisqu'à l’époque, la préoccupation n’était pas d’adapter le tourisme à la transition climatique.
La gestation de ce Parc s'est située dans un territoire de moyenne montagne en proie à une déprise générale, ce qui n’était pas propre aux Cévennes. Sa création en 1970 coïncida avec l’arrivée de nouvelles populations, contribuant à redynamiser la région.
Au moment où l’État créa les premiers parcs nationaux en montagne, il initiait également la création de grandes concentrations touristiques en Languedoc pouvant proposer des capacités d’accueil comprises entre 60 000 et 100 000 lits. L’État avait entrepris là un projet d’aménagement massif avec un plan original qui consistait à aménager des espaces de réserves entre ces grandes concentrations.
De ce fait, les Cévennes sont à la fois un pays de montagne mais aussi l’arrière pays de zones de plaines peuplées et de zones touristiques concentrées. Non seulement c’est un territoire éco touristique mais c’est aussi un modèle alternatif proposant un autre type de tourisme.
Comment se caractérise l'offre touristique en Cévennes ?
Les Cévennes nous montrent qu’un autre type de tourisme est possible puisqu’il fonctionne avec une dispersion à la fois des capacités d’accueil et des activités à faire ou des lieux à visiter. C’est un territoire à identité forte dont les contours sont flous car il y a toujours eu des définitions différentes des Cévennes dans le temps ou l’espace.
En ce qui concerne l’activité touristique en elle-même, elle est marquée par la saisonnalité, l’importance de l’itinérance et la présence d’une clientèle fidèle dont une proportion importante de résidents secondaires.
Les résidences secondaires représentent plus des 3/4 des lits touristiques devant les campings. C’est un atout car cette clientèle viendra quelques soient les aléas de l’économie internationale. En revanche, c’est un handicap quand il faut accueillir une clientèle de l’extérieur, car celui réduit l’offre d’hébergements. La plupart des résidences secondaires ne sont pas sur le marché locatif. Nous sommes là en présence d'une aire de loisirs et de vacances autant que d'un espace touristique, à proprement parlé.
L’offre touristique est diffuse sur le territoire du Parc national où l’on recense environ 45 000 lits pour le secteur marchand. A titre de comparaison, la vallée de Chamonix en compte presque le double. Les Cévennes figurent également de façon secondaire dans le classement des sites les plus visités d’Occitanie. Contrairement aux autres parcs nationaux, le Parc national est un territoire parcouru grâce à quelques milliers de kilomètres de sentiers et de grands itinéraires de randonnée qui le traversent comme Le chemin de Stevenson qui accueille plus de 14 000 randonneurs par an.
J’ai également été interpellé par l’important effort entrepris par des institutions locales pour faire reconnaître les professionnels du tourisme qui s'engagent à travers des labels comme Esprit parc national - Cévennes et Engagé(e)s tourisme durable.
Quel sera le tourisme de demain en Cévennes ?
C’est indiscutablement un territoire d’équilibre - ce qui n'est pas si fréquent - et il va falloir s’adapter aux contraintes pour le conserver. La première étant le changement climatique qui condamne les sports d’hiver à court ou moyen terme et qui peut aussi compromettre la randonnée estivale.
Concernant le manque de neige sur les sommets, je ne sais pas si le Parc freine le projet de développement de la station Alti Aigoual comme j’ai pu le lire dans la presse, mais j’aurais plutôt tendance à penser que le Parc aide à ne pas commettre des erreurs qui compromettraient l’avenir. Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, l’investissement dans une remontée mécanique est amorti en 25 ans et un canon à neige en 10 ans. Ce ne sont pas des échéances dont on peut objectivement disposer en Cévennes. Le déficit en eau constituera également un défi pour l’avenir.
J’observe poindre le développement d’un tourisme de fraîcheur qui est un avantage évident dont peut se prévaloir la montagne en général. Par ailleurs, le Climatographe et la Réserve internationale de ciel étoilé sont deux atouts du territoire.
L’autre variable est la transformation de la société. Celle-ci est plus difficile à prévoir que la contrainte climatique. Il y aura un renouvellement générationnel de la population avec de nouvelles manières de voir le monde, de nouvelles attentes, l’aspiration à plus de confort. Il y aura peut-être une nouvelle génération d’acteurs partisans de davantage de coopération pour rendre cet espace plus intelligible à un plus grand nombre et il y a un invariant, c’est l’existence du Parc.
L’augmentation des capacités d’accueil sera mesurée pour plusieurs raisons, la principale étant la disponibilité de la ressource en eau. Ce modèle éco-touristique diffus et largement non marchand a plus d’aptitude à durer dans le temps que les modèles concentrés qui sont poussés par des mécanismes fonciers et immobiliers, à la condition que la société locale soit encore suffisamment nombreuse et, ainsi, conserve une capacité de s'adapter et d'entreprendre. Pour que ce territoire soit un modèle pour la moyenne montagne touristique, une opportunité pourrait être, c’est une hypothèse que je formule, de développer des partenariats publics / privés du fait de l’existence du Parc. Ce dernier peut contribuer à éviter des erreurs difficiles à rattraper dans le temps.
Ce territoire éco-touristique a de fortes chances d’être en accord avec les valeurs dominantes de la société à venir : le goût de la nature et le respect de la biodiversité, une fraîcheur relative, des pratiques récréatives accessibles une grande partie de l’année. C'est un territoire armé pour avancer dans la "transition juste" (alliance de la décarbonisation et de la démocratisation).