Préambule : que dit Robert Louis Stevenson exactement ?
C’est sur le Mont Lozère et plus exactement lorsqu’il atteint le Pic de Finiels que notre jeune écrivain évoque la couleur des montagnes.
Voici la citation exacte :
« (…) je pris possession en mon nom propre d'une nouvelle partie du monde. Car voilà qu'au lieu du rude contrefort herbeux que j'avais si longtemps escaladé, une perspective s'ouvrait dans l'étendue brumeuse du ciel et un pays d'inextricables montagnes bleues s'étendait à mes pieds ".»
En version originale :
« (…) I took possession, in my own name, of a new quarter of the world. For behold, instead of the gross turf rampart I had been mounting for so long, a view into the hazy air of heaven, and a land of intricate blue hills below my feet. »
Au-delà de la beauté de son texte, si Stevenson nous laisse peu de pistes, il suscite des questions qui nous serviront de fil rouge pour notre enquête.
Episode 1 : D'autres artistes font-ils référence aux "montagnes bleues" des Cévennes ?
Afin d'écarter l'éventualité que Robert Louis Stevenson aurait été le seul à voir des "montagnes bleues" dans les Cévennes, il fallait commencer par s'intéresser aux autres artistes qui auraient pû éventuellement observer ou décrire le bleu de ces montagnes.
Sur Facebook, Bbri B. nous apporte un premier indice : l'extrait de la chanson "Tu aurais pu vivre encore un peu" de Jean Ferrat. "T'aurais pu rêver encore un peu sous mon châtaignier à l'ombre légère laisser doucement le temps se defaire et la nuit tomber sur la vallée bleue.."
Après vérification, il semblerait qu'il ait écrit cette chanson en 1991 alors qu'il vivait à Antraigues-sur-Volane à la limite de la Cévenne ardéchoise... Il y a donc de fortes chances pour que cette vallée bleue qu'il évoque soit cévenole ! Une très belle (et triste) chanson qui nous permet de faire avancer l'enquête et que nous vous proposons d'écouter :
Toujours sur Facebook, Alexandre W. nous fait le plaisir de partager ce magnifique texte écrit par André Chamson en 1930 pour la revue protestante "Foi et Vie" :
« Dans l'échancrure bleue des montagnes, entre le Liron et la Lusette, je vois la plaine où se dresse la tour, où le mot « résister » fut écrit. Qui osera le graver, non plus en signe de désespoir, non plus sur la pierre d'une prison, mais face au ciel, immense, sur des rochers de cette haute montagne. Mon humanité la plus simple, la plus repliée sur elle-même, se réalise ici dans ce mot. »
Sur Linkedin, la photo prise par le garde moniteur du Parc Emilien Hérault des montagnes bleues depuis le signal de Ventalon évoque immédiatement à Eric C. le poème "Sensation" d'Arthur Rimbaud et ces mots : "par les soirs bleus d'été". Mais Arthur Rimbaud a-t-il écrit ces mots en pensant aux Cévennes ? Pour le savoir, relisons ce superbe poème :
"Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme."
Difficile à dire, aucun indice ne semble évoquer les Cévennes.... En revanche, nous découvrons que les mots de Rimbaud ont donné leur titre à un roman de Franck Pavloff écrit en 2019... qui se déroule dans un lieu-dit appelé "la montagne perdue"... au coeur des Cévennes ! L'enquête avance !
Fraugui, sur Twitter, nous informe de son côté que le photographe Mario Colonel aurait mis en évidence ce "phénomène"... Quelques recherches nous permettent de découvrir qu'en effet, son ouvrage intitulé "Cévennes" met en lumière ces fameuses montagnes bleues !
Dernière piste envoyée par Bipbip55 par courrier électronique : l'artiste Kleo a peint les montagnes bleues cévenoles dans ce tableau intitulé "Blue's cevenol"
Conclusion de l'épisode 1 :
Stevenson n'a donc pas été victime d'hallucinations et d'autres que lui ont chanté, écrit ou peint ces "inextricables montagnes bleues" !
Episode 2 : Les montagnes sont-elles bleues ailleurs que dans les Cévennes ?
Si le phénomène des montagnes bleues est désormais avéré dans les Cévennes, il fallait déterminer si c'est une particularité cévenole ou si d'autres régions du monde ont la chance de l'observer.
Sur Twitter, Fraugi est catégorique : "Non !" Les montagnes sont bleues uniquement dans les Cévennes ! Le double smiley qui suit son message est bien sûr ironique et vous avez été nombreux à nous donner des exemples d’autres lieux où les montagnes deviennent bleues à certains moments de la journée.
Le lieu qui revient le plus est la fameuse « ligne bleue des Vosges » évoquée par Dominique C. sur Facebook dès le premier épisode, Bipbip55 par email mais également Remy A. et Rome C. sur Twitter. Ce dernier nous apprend au passage que cette expression est "empruntée au testament de Jules Ferry, député puis sénateur des Vosges". Intéressant !
Autre lieu emblématique, les «Blue mountains» (Montagnes bleues) en Australie qui sont citées par Bertrand M. sur Facebook ainsi que Gaetan H. et Vincent L. sur Twitter et amele618 sur Instagram.
Situées en Nouvelle-Galles du Sud à une centaine de kilomètres à l'ouest de Sydney, Wikipedia nous révèle que leur nom trouve son origine... dans le reflet bleu qu'elles renvoient lorsqu'elles sont vues de loin (quelle surprise !).
Il semblerait d'ailleurs que "de nombreuses régions d'Australie peuvent revendiquer de telles teintes" (Wikipedia ajoute d'ailleurs un indice expliquant leur couleur que nous ne révèleront pas ici).
Sur Instagram toujours, glacepacho s’empresse quant à lui de citer les « Blue ridge mountains » (littéralement « montagnes du massif bleu ») qui forment la partie orientale des Appalaches aux Etats-Unis.
Une chaîne de montagnes également évoquée par Valérie O. sur Facebook et Vincent L. sur Twitter. Ce dernier note d’ailleurs des points communs entre les « blue mountains » australiennes et américaines :
- moyennes montagnes,
- couverture forestière
- proximité de la mer.
Des indices intéressants que nous mettons précieusement de côté pour la suite de l’enquête !
Parmi les autres retours intéressants que nous avons reçus, celui proposé par Marie H. sur Twitter : nos amis du Parc national du lac de Skadar au Montenegro.
Le lac de Skadar est le plus important de la péninsule balkanique. Il a pour symbole le plus grand des pélicans, le magnifique Pélican frisé.
Plus proche de nous, Buster K. évoque quant à lui la Sainte-Victoire qui se pare par moments de bleu et qui a inspiré tant d’artistes dont, bien évidemment, Cézanne !
Par chez nous, la Sainte-Victoire est aussi parfois bleue ! D'ailleurs c'est pas pour rien que Cézanne l'a peinte ainsi ! pic.twitter.com/0t6JehsEYP
— Buster K (@jfb_keaton) November 3, 2020 data-scald-align="center"
Episode 3 : A quelle(s) heure(s) et à quelle(s) saisons(s) le phénomène des montagnes bleues est-il le plus visible ?
Comme nous l’avons vu, Arthur Rimbaud évoque « les soirs bleus d’été ». Mais pouvons-nous en dire autant des montagnes cévenoles ? Se parent-elles de bleu uniquement l’été ? Y a-t-il des heures où ce bleu est plus visible ?
Roselyne C. nous confie sur Facebook qu’elle ne sait pas car elle n’a jamais noté ni heure ni saison.
Nous la comprenons tout à fait ! Lorsque les montagnes cévenoles deviennent bleues, on perd vite tous ses repères pour ne plus voir que leur beauté. Après tout, si nous n’avions pas une enquête à mener, c'est vrai que cela n’aurait pas d’importance...
Agn.yes nous dit sur Instagram : « j’ai souvent remarqué que les montagnes et collines revêtent une douce couleur bleue à la tombée de la nuit on appelle d’ailleurs cela : l’heure bleue ! Ou entre chien et loup… »
Un avis partagé sur Facebook par Bbri B. et Carmen Z. Cette dernière évoque elle aussi l’ « heure bleue » de la « femme allongée » du massif du Caroux « entre chien et loup ». Elle ajoute, comme Anneparmontsetrives et Lisou3517 sur Instagram, que c’est par « les belles soirées d’été » qu’elle est la plus visible.
Au passage, savez-vous d’où vient l’expression « entre chien et loup » ?
Cette expression qui était déjà utilisée par les romains dans l’Antiquité (« Inter canem et lupum ») désigne le moment où l’homme ne peut plus distinguer le chien du loup car il fait trop sombre !
Sur Linkedin, Diane B. pense également que c’est au coucher du soleil que le bleu est le plus visible mais selon elle, c’est en automne. Sebastien A. sur Facebook et Agn.yes sur Instagram affirment également que la meilleure saison pour l’observer est en automne.
Sur Instagram, Franecllt indique quant à elle que c’est « à l’aube peut-être en toute saison suivant la lumière du petit matin et l’humidité de la nuit » que le bleu est le plus visible.
Pour finir, nous avons demandé à Olivier P. grand connaisseur des vallées cévenoles et photographe pour le Parc de nous dire quand la photo ci-dessous avait été prise : "mi-novembre mais le phénomène (lui) semble visible en toute saison"…
Conclusion Episode 3
Difficile donc de conclure sur la saison : automne, été, hiver… seul le printemps n’est pas cité mais pouvons-nous réellement en tirer une quelconque conclusion ?
Concernant l’heure en revanche, il semblerait que le phénomène soit plus visible à la tombée du jour ou au lever du matin une information confirmée par email par Emilien H., garde moniteur au Parc et photographe passionné.
La longueur parcourue par la lumière et son angle joueraient-elles un rôle ? L’atmosphère du matin ou du soir est-elle particulière ? L'humidité a-t-elle un impact ?
Episode 4 : Mais alors d'où vient ce bleu ?
Vous avez été nombreux à nous donner des pistes parfois scientifiques, parfois farfelues, drôles ou poétiques mais toutes très intéressantes !
Voici les résultats des sondages menés sur Twitter et Linkedin :
- La forêt
Comme les sondages le reflètent, vous avez été nombreux à voir dans les forêts l’origine du bleu :
Sur Facebook, Bertrand M. , Manu B. , Fabio B. (selon lui, le chêne vert en est responsable), Framboise des Cévennes, Bruno B. (qui évoque le chêne et le châtaignier) et Marie M. nous incitent à explorer cette piste.
Pour appuyer cette hypothèse : les essences, le pollen ou les particules libérées par les arbres « diffuseraient » ou « laisseraient passer » uniquement la lumière bleue.
Une piste très intéressante d’ailleurs déjà évoquée par Ode aux créateurs sur Instagram et Vincent L. sur Twitter qui nous faisaient remarquer que les « blue mountains » des Appalaches et de la région de Sydney (principalement des Eucalyptus) étaient également des montagnes boisées comme nos Cévennes.
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La distance
La distance arrive en seconde position des sondages. Elle est mentionnée sur Facebook par Ludovic L. qui nous dit que « quand on voit loin c’est toujours bleu !! C’est comme ça. »
Effectivement, comme le précise également Manu B. on voit bien sur toutes les photos partagées et reçues ces derniers jours que : « plus c’est loin, plus c’est bleu ».
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La mer, l'altitude et les roches
Vous avez également évoqué la proximité de la mer souvent de manière poétique comme Agn.yes sur Instagram :
« pour le mythe, c’est vrai que les cévenoles sont plus bleues qu’ailleurs, peut-être la Méditerranée toute proche aime y refléter ses eaux si profondes ! »
ou Laur.e5 : « Peut-être est-ce dû (…) à la mer qui irradie le bleu profond jusqu’à nos Cévennes ? »
Mary M. sur Facebook pense quant à elle que l'altitude peut avoir un rôle dans le bleu observé.
Pour finir, Aurélien T. cite « les lauzes de couleur argent et bleutées » sur Facebook et Franeclt le schiste sur Instagram.
Si elles ont l'avantage d'être poétiques et qu'elles ont sans doute un impact sur le bleu observé à certains endroits, ces autres pistes ne semblent pas pouvoir expliquer à elles seules le bleu observé loin de la mer, en plaine ou à des endroits recouverts de forêts et où la roche n'est pas visible...
[AVIS AU LECTEUR ]
Si vous partagez l’avis de Fredartenherbe qui nous demande sur Instagram : « Et pourquoi chercher une ou des réponses à tout ? Vivons respirons apprécions » alors nous vous conseillons de vous arrêter là.
Comme nous le lui avons répondu, nous n'avons pas organisé cette enquête pour trouver une réponse exacte, scientifique et donc forcément moins poétique (quoique la science a souvent prouvé sa capacité à nous faire rêver).
Son intérêt, vous l'aurez compris, résidait dans le chemin que nous avons parcouru ensemble pour la mener.
Mais, puisqu'il faut bien conclure et que nous avons désormais assez d’indices pour le faire, continuons avec le renfort de la science !
Episode 5 : Conclusion
Sur Twitter, Mark 48 nous interpelle : « C'est comme se demander pourquoi le ciel est bleu... Cela doit être le même phénomène... »
Merci Mark48 pour ce message mais êtes-vous réellement en train de nous dire que nous devons ouvrir une nouvelle enquête participative... ?
Après réflexion, c’est effectivement une excellente piste !
Et si le bleu du ciel avait un lien avec le bleu de nos « inextricables montagnes » ?
Désolé Mark48, pas le temps d'ouvrir une nouvelle enquête participative (nous avons tous trop hâte de connaitre la réponse) alors, pour pouvoir y répondre, aucun doute, il nous faut un renfort scientifique.
Renfort que nous avons trouvé dans les commentaires de Odicio O. et Alain B. sur Facebook ainsi que dans l’article intitulé « Diffusion, réflexion, réfraction et diffraction de la lumière » rédigé par René Moreau, Professeur émérite à Grenoble-INP et Joël Sommeria, Directeur de recherche au CNRS.
Selon cet article, le phénomène du ciel bleu est lié au principe de la diffusion de Rayleigh expliqué efficacement (et simplement) dans la vidéo ci-dessous :
Bonus : Vos commentaires les plus drôles, poétiques ou décalés !
Sur Facebook
Sandrine C. : " C'est parce qu'il y avait la mer avant. C'est pour s'en souvenir."
Stéphan A. : "C'est la seule couleur en magasin ces jours-ci dans la catégorie des biens indispensables. Je pense."
John E. : " Moi je sais ! "
Sur Twitter
Jean Pierre M. : " Nous, on est verts de ne pas pouvoir se déplacer ! "
- Par email
Athanase: "Comme Dieu est un fumeur de havane, c'est certainement dû à ses volutes bleues."