La forêt de Rocanti, située à proximité du cœur du Parc national, sur le Causse Méjean, est actuellement gérée de façon à passer d'une plantation monospécifique vers un écosystème forestier riche en biodiversité.
Cette transformation passe par une gestion forestière attentive, visant à favoriser la diversité des espèces et la résilience écologique.
Dans le cadre de cette opération, nous vous proposons une immersion dans une journée de "martelage" réalisée avec l'Office national des Forêts (ONF).
Une action sur le temps long qui permet de laisser la place à d'autres essences et d'interroger le concept de "forêt vivante".
La forêt de Rocanti : pins noirs en ordre de marche
Plantée à l'automne 1963 dans le cadre du Fonds Forestier National (FFN), la forêt de Rocanti couvre 22,5 hectares. Elle est composée à 99% de pins noirs d'Autriche. On y trouve bien, à la marge, quelques mélèzes du japon et quelques pins sylvestres, mais il s'agit là d'un exemple typique de monoculture.
Bien qu'adaptée à l'époque pour des raisons économiques et dans un objectif de reboisement rapide, cette monoculture est très peu accueillante pour la biodiversité.
En réduisant l’écosystème forestier à une seule espèce d’arbre, on se prive de tout un cortège d'espèces (animales et végétales) indispensable au "bon fonctionnement" de la forêt. L'absence de prédateurs naturels (insectes, oiseaux, chauve-sources…), par exemple, limite les chances de juguler une attaque de ravageurs.
En 2005, le Parc national des Cévennes en est devenu propriétaire, marquant le début d'une nouvelle approche de gestion.
Éclaircir pour accueillir la diversité
L'un des principaux objectifs pour le Parc est donc désormais de transformer cette plantation en une forêt vivante et diversifiée.
Briefing de début de journée, les agents seront par groupes de 2 ou 3 "mixtes" ONF - PNC
L'opération de martelage, comme celui réalisé aujourd'hui avec l'ONF, consiste à marquer les arbres qui seront coupés. L'éclaircie légère programmée prélèvera environ 15 % du volume total du peuplement, soit un peu plus d'un arbre sur dix.
Jamais éclaircie avant la première coupe réalisée en 2020, la forêt de Rocanti est aujourd'hui "surcapitalisée", c'est-à-dire quelle contient une densité et un volume d'arbres trop importants.
Les coupes successives visent à se rapprocher progressivement de valeurs d'équilibre permettant d'optimiser la croissance des arbres tout en favorisant l'apparition de régénération naturelle, sans jamais passer par la coupe rase.
Les arbres sont alors marqués : un trait rouge pour ceux qui seront coupés, un triangle jaune pour les arbres d'intérêt écologique à préserver.
En réduisant la densité, les arbres restants disposeront de plus d’espace pour se développer, et la lumière pénétrera mieux le sous-bois, favorisant ainsi la régénération naturelle.
Cela permettra de voir apparaître de nouvelles essences comme le Frêne, l'Orme de montagne ou l'Érable champêtre, et le cortège d'espèces animales et végétales qui les accompagne.
L'objectif : donner de la lumière aux arbres les plus intéressants
L'objectif du martelage et de la coupe est notamment de favoriser les arbres d'avenir*, en prélevant ceux qui gênent leur développement (accès à la lumière, notamment).
Les consignes de martelage prévoient également la conservation des plus gros spécimens et des arbres présentant un intérêt écologique, tels que ceux porteurs de cavités, de loges de Pic ou de fourches propices à la nidification.
* Un arbre d'avenir, du point de vue sylvicole, est un arbre droit (rectiligne), peu branchu et vigoureux. C'est celui qui donnera, à terme, un bois de la meilleure qualité possible.
La mesure de la hauteur des arbres repose sur ce bon vieux théorème de Thalès. Elle sert à déduire le volume des arbres, à partir de leur diamètre, avec le plus de précision possible.
Conserver les arbres d'intérêt écologique est essentiel. Il y en a de deux sortes :
ceux qui ont le potentiel pour accueillir de la biodiversité : par exemple, un arbre dont la cime a été brisée, et qui est "reparti" en créant une nouvelle cime à partir de grosses branches, est très favorable à l'installation de nids de rapaces.
ceux qui accueillent déjà des espèces patrimoniales. Il est par exemple crucial de conserver un arbre doté d'une loge de Pic. Outre le fait qu'il s'agisse d'une espèce protégée, près d'une quarantaine (!) d'espèces en dépendent : Chouette de Tengmalm, Loir, Sittelle, abeilles, écureuils...
En plus des loges déjà présentes, les agents du Parc ont installé dans la forêt de Rocanti plusieurs types de nichoirs. Pour les rapaces, il s'agit d'une corbeille placée sur une fourche. D'autres sont adaptés pour les chouettes de Tengmalm, d'autres encore pour les passereaux.
Et cela a bien fonctionné ! En période de nidification, 90 % des nichoirs ont été occupés.
Au cours du martelage du jour, 116 arbres d'intérêt écologique ont été marqués pour être conservés (sur le long terme, jusqu'à leur mort naturelle), soit plus de cinq par hectare.
Les arbres morts sont aussi systématiquement conservés, car ils sont susceptibles d'accueillir de nombreuses espèces de mousses, champignons ou insectes. On estime en effet que 25 % des espèces animales ou végétales forestières dépendent du bois mort. C'est notamment le cas des espèces dites saproxyliques qui, en décomposant le bois mort, assurent le recyclage de la matière organique.
La diversification en essences (espèces d'arbres) et la présence accrue de bois mort contribuent ainsi à améliorer la fertilité des sols et à renforcer les interactions écologiques, essentielles à la résilience de l'écosystème, notamment face au changement climatique.
Une forêt vivante pour les générations futures
La coupe des arbres marqués aujourd'hui devrait avoir lieu cet été.
Le travail du forestier peut paraître en décalage, dans un monde avide de résultats immédiats et visibles. Les effets du martelage réalisé et des coupes légères et régulières, qui seront effectuées tous les 8 ans environ, feront évoluer progressivement la forêt de Rocanti vers une forêt diversifiée, riche en bois mort, et présentant des arbres de dimensions variées, de la régénération aux très gros arbres.
Mais les arbres poussent lentement, donc un tel faciès ne pourra être obtenu avant... 50 ans (grand minimum !).
La gestion amorcée aujourd'hui vise donc à construire la forêt du siècle prochain. Les résultats de ce travail ne seront certainement pas visibles pour les participants du jour : un véritable investissement pour l'avenir, en forme de cadeau pour les générations futures.