Nous avons reçu au mois d’août une alerte de Guilhem Porcher, castanéiculteur et paysan agro-forestier sur le Causse de Sauveterre : des pieds de lavande sauvage, jusque-là vigoureux, semblaient morts sur pied durant l’été.
Pour tenter d’apporter une réponse à M. Porcher, nous avons sollicité les observations de deux spécialistes du Parc. L’occasion de revenir sur le changement climatique à l’œuvre sur le territoire et ce qu’il implique pour la flore locale.
Des mortalités de plus en plus visibles
Émeric Sulmont, garde-moniteur du Parc sur le mont Lozère, confirme la tendance :
Oui, on observe partout des mortalités d’espèces qui paraissent moins bien adaptées à notre climat… Les milieux changent vite, c’est une réalité. Concernant la lavande, il ne me surprend pas — malheureusement — de constater des pertes, même pour une espèce de milieu sec.
Émeric insiste sur l’importance, pour les arboriculteurs comme pour les forestiers, d’anticiper dès maintenant le choix des essences selon l’altitude et les conditions locales — olivier en dessous de 700 m, châtaignier jusqu’à 1100 m, pistachier ou amandier en dessous de 500 m... — et de redonner une place aux arbres pour limiter les effets conjugués de la chaleur et de la sécheresse, à l’instar de ce qui est fait avec les dehesa en Espagne.
Des cycles naturels… mais accélérés
Frantz Hopkins, chargé de mission flore au Parc, nuance :
Il est normal que certaines populations vieillissantes de lavande succombent aux épisodes de sécheresse : même si l’accélération est notable, ce n’est pas forcément une catastrophe. Ce qui compte, c’est que les jeunes plantules de lavande puissent s’installer malgré ces épisodes. La mortalité soudaine d’une population jeune entière serait plus inquiétante, le signe d’un changement brutal.
Selon Frantz, l’essentiel est donc de surveiller la capacité de renouvellement des populations, qui ne semble pas encore menacée sur le Causse de Sauveterre.
Des changements bien visibles sur le terrain
Le Parc observe déjà, à différentes altitudes, des mortalités d’arbres et d’arbustes liées à la sécheresse et aux vagues de chaleur successives des dernières années. Les plantes âgées, moins vigoureuses, sont les plus vulnérables. Voici quelques observations parlantes :
- Entre 500 et 700 m, la bruyère callune résiste mal aux sécheresses et laisse place à un cortège plus adapté de cistes et de plantes annuelles.
- Entre 200 et 500 m, notamment sur les versants sud méditerranéens, on observe des mortalités parfois importantes de chêne vert.
- Entre 700 et 1000 m, en versants Sud, Est et Ouest, de nombreux dépérissements de vieux hêtres témoignent d’une remontée progressive de l’étage montagnard où l’espèce trouve désormais de meilleures conditions.
- Le châtaignier connaît lui aussi des difficultés : l’étage optimal de production de châtaignes semble s’être déplacé de 400–600 m à 600–800 m en une vingtaine d’années.
- Sur le versant nord du mont Lozère, entre 1200m et 1500m on note des signes de changement : augmentation des taches de genêt purgatif et, localement, une transition des zones à myrtilles en landes à callune (plus résistante à la sécheresse). La myrtille ne fructifie bien et abondamment que dans les zones les plus froides ou alimentées en eau (en particulier aux abords des gros éboulis de bloc du versant nord).
Ces tendances restent bien sûr à affiner. Frantz précise par exemple: « Le hêtre et le châtaignier par exemple, ne sont pas des espèces strictement montagnardes : on les retrouve en bonne santé dans l’étage planitiaire breton, où l’humidité est bien marquée. Dans les Cévennes, leur présence en altitude s’explique par ce besoin en eau. »
La mort de quelques pieds de lavande ne constitue donc pas, à elle seule, une catastrophe écologique. Mais elle s’ajoute à une série d’observations concordantes qui documentent les transformations rapides des milieux du territoire liées au changement climatique.